
Raconter l’histoire, c’est préserver un héritage oral. La mettre par écrit, c’est garder des traces vivantes et fortes. Raconter par écrit la vraie histoire, c’est laisser un héritage réel pour les générations futures, et un plaidoyer solide en faveur de la construction d’un avenir meilleur.
Que pensez-vous des jeunes Africains ? Quelle image avez-vous d’eux ? Mieux, quelle image vous a-t-on présentée ? Paresseux ? Courageux ? Engagés ? Laxistes ?Mieux, quelle image avez-vous des femmes africaines ? Les pensez-vous passives ou actives en faveur du changement et de la construction d’un monde meilleur ?
Parce qu’il est impératif de raconter la vraie histoire, cette rubrique existe pour raconter l’histoire et garder les actions de ceux qui changent le monde. Parmi eux, une jeune femme en Guinée, qui a fait de l’engagement pour toutes son combat.
Son nom: Oumou Khaïry Diallo.

L’interview
Chère Oumou ! Bienvenue sur Inspireandshine ! Avant tout propos dites-nous tout qui est Oumou Khaïry Diallo?
Merci beaucoup ! Alors, Oumou Khaïry Diallo est une jeune féministe, militante pour l’égalité des sexes et les droits des femmes.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours personnel et ce qui vous a amenée à vous engager en faveur des droits des filles et des femmes en Guinée ?
Oumou Khaïry Diallo est une jeune fille guinéenne, comme beaucoup d’autres qui dans son environnement, a été victime de nombreux manquements à ses droits les plus élémentaires en tant que filles et femmes.
À l’âge de 17 ans, je me suis engagée dans des mouvements associatifs, notamment le Club des jeunes filles leaders de Guinée, tout en poursuivant mes études au lycée. J’ai suivi un parcours d’ingénieur spécialisée en génie logiciel. En parallèle, j’ai continué mon engagement au sein de cette organisation, en travaillant activement avec les communautés et les pouvoirs publics. Je suis passée de membre à responsable des programmes, et aujourd’hui, j’en suis la directrice.
Quel a été le déclic de votre engagement militant, et comment votre environnement a-t-il influencé votre prise de conscience?
Ayant grandi dans une communauté conservatrice et une société purement patriarcale, j’ai très tôt remarqué l’écart qui existait entre les hommes et les femmes, que ce soit en termes de traitement ou de rapports de pouvoir et d’influence. En tant que jeune fille, on remarque facilement la place de second rang attribuée aux femmes, et l’on se demande si, parce qu’on est née fille, c’est le sort qui nous est réservé. Survivante de violences basées sur le genre, notamment des mutilations génitales féminines, l’environnement autour de moi a été le déclic de mon engagement. J’ai décidé de tirer mon épingle du jeu en tant que jeune fille, mais aussi de protéger mes sœurs de ces violences.

Qu’est-ce qui vous a motivée à rejoindre le Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée, et comment y avez-vous évolué jusqu’à en prendre la direction?
J’ai rejoint le Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée pour une raison: une quête de justice pour moi et pour toutes les jeunes filles et femmes. Mais il ne s’agit pas uniquement d’une justice au sens juridique. C’est une quête d’égalité sociale, de réparation morale et de reconnaissance pour toutes celles dont les droits sont niés ou ignorés.
Comment avez-vous appréhendé votre élection à la tête de cette organisation, et quelles sont les priorités que vous vous êtes fixées dès le début de votre mandat ?
Mon élection au sein de cette organisation a été l’aboutissement de mon parcours et une occasion d’avoir un impact encore plus grand. Mes priorités sont :
- Renforcer la prise en charge des survivantes et la sécurité des militantes à travers des espaces de discussion.
- Mettre en place des espaces sûrs (safe spaces) au sein des communautés afin de garantir aux femmes un lieu sécurisé pour discuter.
Quelles actions phares avez-vous mises en œuvre depuis votre prise de fonction pour lutter contre les mariages précoces, les mutilations génitales féminines et les autres formes de violences?
Les actions phares ont été la mise en place des espaces sûrs (safe spaces) dans les communautés, où les femmes sont écoutées et assistées. Nous avons également opérationnalisé l’approche de la masculinité positive pour favoriser l’implication des hommes dans la prévention des violences basées sur le genre (VBG). De plus, nous avons renforcé le leadership et le partage de connaissances entre militantes à travers des causeries éducatives, amélioré le fonctionnement institutionnel de l’organisation, et organisé le forum de la jeune fille guinéenne.

Quels sont les obstacles majeurs auxquels vous êtes confrontée dans la conduite de vos missions, et comment travaillez-vous à les dépasser ?
Les obstacles majeurs auxquels je suis confrontée dans la conduite de mes missions se situent à deux niveaux : la faiblesse de l’appareil judiciaire et l’accès à la justice pour les survivantes, qui n’est pas systématique, ainsi que le refus des communautés d’adhérer à l’abandon de certaines pratiques culturelles néfastes, notamment l’excision.
Comment définissez-vous le leadership féminin, et pourquoi est-il indispensable dans la transformation des sociétés africaines ?
Pour moi, le leadership féminin, c’est la capacité des femmes à influencer positivement leur environnement et à impulser des changements durables tout en intégrant une vision inclusive, égalitaire et humaine du développement. Cela émane de leur volonté de faire bouger les lignes, non seulement pour les femmes, mais pour toute la communauté. Le leadership des femmes est indispensable parce qu’il permet de déconstruire des normes patriarcales profondément ancrées, de rééquilibrer les rapports de pouvoir et de faire émerger des solutions plus justes et durables. Les femmes ne sont pas seulement des bénéficiaires du développement : elles en sont des actrices clés. Lorsqu’elles sont à la tête des initiatives, on observe des impacts concrets sur l’éducation, la santé, la paix sociale et la lutte contre les violences basées sur le genre.

Quel regard portez-vous sur la place des femmes dans la vie publique, politique et économique en Guinée aujourd’hui ?
La place des femmes dans la vie publique, politique et économique en Guinée a connu des avancées, mais demeure encore en deçà des aspirations légitimes d’égalité et de représentativité. Il faudrait selon moi que la nomination des femmes ne soit plus perçue comme un simple quota à respecter, mais comme une volonté de leur redonner leur place là où les décisions se prennent et où l’influence se joue.
Quels leviers doivent, selon vous, être activés pour renforcer l’accès des jeunes femmes aux postes à responsabilité ?
Les leviers à renforcer pour l’accès des jeunes femmes aux postes à responsabilité sont tout d’abord favoriser pour les jeunes filles l’accès à une éducation de qualité. Il est également essentiel d’instaurer un environnement politique et institutionnel favorable, avec des mécanismes de promotion de la parité, ainsi que des mesures de protection contre les violences et les discriminations sexistes.

En tant que jeune leader, comment inspirez-vous d’autres filles à croire en leur potentiel et à s’engager ?
En tant que jeune leader, j’inspire les autres filles d’abord par l’exemple. Je viens d’un contexte où être une fille et vouloir changer les choses n’est pas une évidence. Pourtant, en m’engageant tôt et en portant ma voix malgré les obstacles, j’ai voulu prouver qu’il est possible d’oser, de rêver et de réussir en tant que jeune fille, même dans un environnement peu favorable. Ainsi, j’ouvre la voie pour que d’autres jeunes filles puissent marcher avec confiance dans leurs propres pas, à leur propre rythme.
Quels résultats ou avancées concrètes vous rendent particulièrement fière à ce stade de votre engagement?
La libération de la parole pour les femmes est une avancée majeure dans nos revendications en tant que femmes et dans notre quête pour récupérer la place qui nous revient au sein de la société. L’engagement accru des femmes, que ce soit dans les mouvements associatifs ou de manière individuelle, dans la défense des droits des femmes, a grandement contribué à faire avancer les choses.

Quels messages clés avez-vous portés lors de votre récente intervention à la Commission de la condition de la femme (Commission on the Status of Women– CSW) à New York, et pourquoi était-il essentiel pour vous de les exprimer à cette tribune internationale ?
À la Commission on the Status of Women (CSW) à New York, j’ai porté des messages de plaidoyer sur la nécessité d’investir dans les organisations féministes et de favoriser la participation des militantes féministes francophones dans les grandes rencontres où les plaidoyers se font. J’ai également appelé à des actions concrètes contre le recul des droits et la montée en puissance des mouvements anti-droits.
En quoi cette expérience à New York a-t-elle renforcé votre engagement et affiné votre vision du leadership des jeunes filles africaines à l’échelle mondiale ?
Cette expérience m’a permis de comprendre que les questions d’inégalités de genre et les violences basées sur le genre (VBG) touchent toutes les femmes à travers le monde. Bien qu’il y ait des particularités, le monde semble traîner des pieds quant à l’atteinte de l’égalité des sexes.
En prenant part aux panels, aux échanges de haut niveau et aux rencontres avec d’autres militantes, j’ai vu à quel point le leadership des jeunes filles africaines est puissant, pertinent et nécessaire dans les espaces de décision internationaux. Cela m’a convaincue qu’il est urgent non seulement de préparer les jeunes filles à ces espaces, mais aussi de créer des ponts pour qu’elles y accèdent, s’y expriment et influencent les politiques.

Quelle est votre vision à long terme pour le Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée et pour l’autonomisation des filles sur le continent ?
Je souhaite que le Club soit un catalyseur de dynamiques nationales et internationales, œuvrant en synergie avec d’autres acteurs pour faire avancer les droits des filles et des jeunes femmes, tout en contribuant à influencer les politiques publiques en faveur de leur protection et de leur autonomisation. Il ne s’agit pas de fédérer toutes les organisations, mais de favoriser une mise en réseau, un partage de pratiques et une montée en puissance du leadership féminin jeune sur le continent. Je crois en un futur où chaque fille africaine pourra être actrice de changement, avec des organisations solides à ses côtés, dont le Club, comme l’une des voix porteuses de cette transformation. Ma vision pour l’autonomisation des filles sur le continent est de renverser les normes limitantes et de bâtir un environnement où les filles ne sont plus seulement bénéficiaires de programmes, mais actrices, créatrices, décideuses. Cela passe par une éducation égalitaire, un accès à la technologie, à la santé, au financement, et surtout par la reconnaissance de leur leadership dans toutes les sphères sociales, économiques et politiques. Je crois profondément que l’Afrique ne pourra atteindre son plein potentiel que si ses filles sont pleinement libres, visibles et puissantes.

Quels sont vos projets futurs, tant sur le plan personnel que collectif, pour continuer à promouvoir les droits des femmes et des filles?
Face à la montée en puissance des mouvements anti-droits, il est plus que nécessaire que nous travaillons en alliance et en réseau. Je travaille et prévois de continuer à travailler davantage sur le renforcement du leadership des jeunes filles, la formation d’alliances fortes, et sur l’environnement à travers des plaidoyers en faveur du renforcement du cadre légal de protection.
Si vous aviez l’opportunité de transformer un seul aspect du système social guinéen pour les femmes, quel serait-il et pourquoi ?
Je changerais la normalisation des violences faites aux femmes et les constructions sociales qui continuent de reléguer la femme à un rôle de second rang au sein de la société.

Quel message souhaitez-vous transmettre à la prochaine génération de militantes engagées pour l’égalité et la justice sociale ?
J’ai particulièrement envie de dire aux jeunes filles qu’elles ont un potentiel immense, qu’elles comptent, que leur voix a du poids et qu’elles ont un rôle inestimable à jouer dans les changements en cours dans leurs communautés et dans leur pays. Elles ont toutes leur place dans la co-construction de notre société, et non dans le fait de subir. Qu’aucune croyance, aucune construction sociale ne leur fasse croire le contraire.

Oumou K. Diallo à travers son engagement est un témoignage de la résilience et de la détermination des jeunes femmes africaines. Son leadership au sein du Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée a inspiré de nombreuses jeunes filles et contribue à des avancées dans la lutte contre les violences basées sur le genre et la promotion des droits des femmes dans son pays.
L’image de la jeune femme africaine leader est celle d’une figure dynamique et résiliente. Elle incarne la force nécessaire pour surmonter les nombreux défis auxquels elle est confrontée, tout en jouant un rôle crucial dans la transformation de sa communauté et de son pays. Elle valorise l’éducation, s’engage activement dans sa communauté, et adopte un style de leadership inclusif et collaboratif. Elle montre qu’il est possible de réussir malgré les obstacles et de faire une différence significative.
Oumou représente l’espoir d’un avenir où les filles et les femmes africaines peuvent pleinement réaliser leur potentiel et jouer un rôle central dans la transformation de leurs sociétés. Son parcours et ses réalisations sont un exemple pour toutes celles qui aspirent à un monde plus équitable et juste.
Chère Oumou, InspireAndShine vous remercie pour vos actions quotidiennes en faveur de chaque femme et pour un monde plus juste pour les futures générations.
Comme elle, vous êtes aussi appelé·e à vous engager en faveur du changement dans votre communauté.
Raissa Sawo Kouadio
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