Je me suis il y a peu, intéressée au lien entre le sport et le changement social. Mieux, posée la question de savoir comment le sport pourrait être un plaidoyer de changement.
Contrairement à la pensée populaire, le sport est bien plus que du divertissement, mais un art porteur de messages et bien souvent d’espoir. Au cours de l’histoire, de nombreux sportifs ont su, à travers cet art, transmettre un message fort à l’humanité. On peut citer à titre d’exemple Colin Kaepernick, joueur de football américain ayant attiré l’attention mondiale et déclenché un mouvement plus étendu dans le monde du sport et au-delà, en s’agenouillant pendant une hymne national pour protester contre l’injustice raciale et la brutalité policière ; ou encore Serena Williams, qui a souvent utilisé sa notoriété pour aborder des questions telles que l’égalité des sexes dans le sport et la société.
Dans cet article, je pars à la rencontre de Ruth Signé, archiviste-documentaliste et basketteuse ivoirienne âgée de 25 ans, pratiquante depuis 2013.
Nous discuterons sport et engagement pour l’équité.
L’interview de Ruth !
Comment est née votre passion pour le basketball?
Ma fascination pour le basket a été éveillée à la fois par mon entourage et par l’enthousiasme constant entourant ce sport. Initialement, je ne le considérais pas en tant que tel. C’est en 2013, après avoir réussi le BEPC (Brevet d’études du premier cycle du second degré), que ma mère a décidé de m’inscrire à des cours de basket aux sapeurs-pompiers d’Adjamé, dans le but de me permettre de décompresser avant la publication des résultats. Une amie du primaire, également passionnée de basket, m’a proposé de me présenter à son entraîneur, et c’est ainsi que nous nous sommes inscrites ensemble. Au fil du temps, ma passion pour ce sport a pris naissance et s’est développée. Ce qui m’a particulièrement marquée, c’est la convivialité et la gentillesse des personnes présentes à l’époque, notamment les joueurs, qui ont suscité en moi le désir constant de m’entraîner là-bas. Le sentiment d’appartenance était fort. Ma mère n’aurait jamais imaginé que je finirais par aimer autant ce sport.
En tant que jeune femme évoluant dans le basketball, comment décririez-vous votre expérience dans ce domaine (leadership et émancipation féminine)?
Je pense que le basketball féminin est en plein essor. Les femmes qui pratiquent ce sport s’affirment plutôt bien dans le domaine tout en gardant leur féminité. Contrairement aux idées reçues, les femmes qui pratiquent un sport, que ce soit le basket ou le football, ne sont pas toutes des garçons manqués.
Pouvez-vous nous partager un moment clé où vous avez ressenti l’impact positif du leadership féminin dans votre carrière de basketteuse ?
En 2019, j’ai assumé le rôle de capitaine au sein de l’équipe INDENIE, une des formations féminines de la SOA (Société Omnisport de l’Armée basketball). Pendant cette période, ma gestion des joueuses et des finances a été soumise à certaines critiques. Cependant, personne n’est exempt d’imperfections ! J’ai travaillé à perfectionner la gestion de l’équipe et à faire preuve de résilience face aux critiques. Grâce à mon leadership affirmé, j’ai réussi à guider l’équipe jusqu’à la finale. Malheureusement, nous avons essuyé une défaite, nous classant ainsi vice-championnes de Côte d’Ivoire en 2e division. Cette expérience a été une source précieuse d’apprentissage dans ma carrière professionnelle, me dotant des compétences nécessaires pour surmonter diverses crises dans ma vie quotidienne.
Quels sont les défis spécifiques auxquels les femmes font face dans le monde du sport, et comment les surmontez-vous personnellement en tant que leader?
Les femmes font face à divers défis, particulièrement d’ordre financier. En Côte d’Ivoire, le basketball féminin ne bénéficie pas de la même popularité que le basket masculin. Les femmes engagées à fond dans cette discipline nourrissent le rêve de jouer à l’étranger, aspirant aux conditions optimales pour la pratique de ce sport qui les passionne. En tant que femme athlète, il est fréquent de faire une pause à un certain moment pour fonder une famille, marquer une pause due à la maternité ou au mariage. Cette période s’accompagne du défi de concilier les responsabilités familiales avec le retour sur le terrain, la reprise des entraînements, la recherche de son meilleur niveau, et l’aspiration à la victoire. Mon expérience personnelle en témoigne, ayant fait une pause de deux ans suite à une grossesse. Après l’accouchement et ma remise en forme, j’ai surmonté les obstacles liés à la prise de poids. En 2023, grâce à ma persévérance et à mon engagement, j’ai remporté le championnat de Côte d’Ivoire en 2e division avec l’équipe DIGITALE.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes filles aspirant à pratiquer le basketball ou à exceller dans un domaine traditionnellement dominé par les hommes?
Mon conseil pour les jeunes filles aspirant à pratiquer le basketball, ou à exceller dans un domaine traditionnellement dominé par les hommes, est de définir clairement leur objectif. Elles devraient chercher à trouver du plaisir dans leur jeu, bénéficier d’un encadrement solide, rester concentrées sur leurs objectifs, et surtout, avoir confiance en leurs capacités. L’engagement doit être total, indépendamment du niveau de compétence initial. Il est crucial de ne jamais se décourager, de persévérer et de maintenir un effort constant. En adoptant cette approche à 200%, elles peuvent surmonter les obstacles et progresser vers la réussite.
Comment la pratique du basketball peut-elle contribuer au développement du leadership et de la confiance chez les jeunes filles, en particulier dans les communautés où le sport féminin est parfois sous-représenté ?
À mes yeux, la pratique du basketball se présente comme un puissant catalyseur pour fortifier les capacités et l’estime de soi chez les jeunes filles. Ce sport, au-delà de son aspect physique, forge leur endurance, les incitant simultanément à cultiver une résilience face aux défis. Lorsque l’équipe est en situation de désavantage, la nécessité d’appliquer des tactiques intelligentes pour remonter au score et remporter le match se manifeste. Il enseigne également aux joueuses à gérer la pression et à prendre des décisions difficiles et déterminantes pendant les rencontres. En résumé, le basketball offre aux jeunes filles l’opportunité de prendre des décisions cruciales pour leur vie, de persévérer dans l’adversité, de faire preuve de courage, et de nourrir une confiance en un avenir meilleur.
Quels sont les stéréotypes de genre auxquels vous avez été confrontée en tant que basketteuse ?
Personnellement, beaucoup de gens ont supposé que j’étais lesbienne. Cette perception m’a semblé étrange, car le fruit du fait que que je passais la majeure partie de mon temps dans des activités sportives et que les autres me voyaient fréquemment vêtue de tenues de sport ou en basket. On me cataloguait également fréquemment comme une femme au style masculin, bien que cela ne corresponde pas à ma réalité. J’ai dû faire face à de nombreux préjugés en raison du type de sport que je pratique.
Pouvez-vous nous partager une expérience où vous avez été une source d’inspiration pour une jeune fille et comment cela a influencé votre engagement envers le leadership féminin ?
Au club, alors que nous démarrions nos entraînements, les débutants finissaient les leurs. Un jour, une plus jeune, qui me regardait jouer, m’avait dit ceci admirative : »Grande sœur, j’aime comment tu dribbles le ballon, tu y mets tant de force ». Généralement, c’étaient les jeunes hommes de mon quartier qui aimaient beaucoup ce que je faisais et m’encourageaient. Ceux-ci voulaient faire comme moi. J’ai emmené plusieurs à vouloir pratiquer ce sport. Souvent, quand je vais courir sur le terrain à proximité de chez moi, des personnes s’approchent pour me demander si je pratique un sport. Ma réponse positive est souvent accompagnée du souhait que leurs enfants emboîtent le pas. Je les mets alors en relation avec mon coach-formateur, Coach Ismaila KONÉ, également connu sous le nom de « Coach Soum ».
Comment les équipes de basketball professionnelles peuvent-elles promouvoir l’égalité des sexes et le leadership féminin au sein de leurs organisations ?
La promotion de l’égalité des sexes dans le basket-ball requiert principalement une révision des primes et des salaires attribués aux joueurs. Il est essentiel d’assurer aux joueuses une rémunération significative et équitable, comparable à celle des hommes. Les clubs féminins doivent également bénéficier d’un soutien financier accru, notamment par le biais de sponsors. Cette démarche stimulera l’engagement accru des jeunes filles dans la pratique du sport, incitant leurs parents à laisser libre cours à leur passion, plutôt que de les contraindre à des mariages forcés ou à d’autres activités.
Le basketball, bien plus qu’un simple jeu, est une source inépuisable d’enseignements pour les jeunes filles, les encourageant à exceller dans tous les domaines de la vie. En donnant la parole à Ruth, nous ouvrons la voie à un avenir où le leadership féminin s’épanouit sur et hors du terrain, défiant les normes et façonnant un monde plus équitable et inclusif.
Nos sinceres remerciements à RUTH pour l’interview accordée.
En bonus, au cas où vous douteriez de la place de la femme dans ce sport, decouvrez Tamika Catchings.