
En 2014, le monde entend pour la première fois le terme « diplomatie féministe » à travers Margot Wallström, alors ministre des Affaires étrangères suédoise. Elle ne se limite pas à promouvoir les droits des femmes, mais vise à transformer la manière dont les États interagissent, en privilégiant l’inclusion, l’écoute et la coopération équitable plutôt que les rapports de force traditionnels.
En Afrique, plusieurs dynamiques émergent principalement de la société civile, avec des réseaux de femmes médiatrices, des organisations et des coalitions de défense des droits humains ou pour la paix. Sur le continent, des figures africaines comme Mesdames Bineta Diop et Ellen Johnson Sirleaf plaident pour une approche inclusive dans les négociations de paix.
Dans Analyses, InspireAndShine accueille cette semaine comme contributrice, Marie-Ange Anzian. Avec, elle nous parlerons : Diplomatie féministe : levier de transformations des relations internationales .
Analyses
Cher Marie Ange, bienvenue sur InspireAndShine ! Nous sommes honorés de vous recevoir. Avant tout, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous?
Bonjour et merci infiniment pour cet accueil. Je suis J. Marie Ange ANZIAN, diplômée d’un Master en Droit Public à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO). D’origine ivoirienne, je nourris une passion profonde pour les questions de diplomatie, de paix et de coopération internationale, particulièrement à travers le prisme africain.
Mon parcours professionnel m’a permis d’acquérir des expériences enrichissantes au sein du Ministère des Affaires étrangères de la République de Côte d’Ivoire, ainsi qu’à la Représentation résidente de la CEDEAO à Abidjan. Ces environnements institutionnels ont renforcé mon intérêt pour les dynamiques diplomatiques et l’importance de la voix africaine dans les relations internationales.
Portée par cette passion, j’ai fondé Afrique Diplomatie, Paix et Sécurité (ADPS), un blog et magazine numérique, avec l’ambition qu’il devienne à terme un centre de réflexion, de formation et de plaidoyer en faveur de la participation active des jeunes et des femmes africaines dans les espaces de décision internationaux. ADPS se veut un espace d’analyse, de vulgarisation et d’inspiration pour une diplomatie africaine plus inclusive, représentative et connectée aux réalités de nos sociétés.
À travers mes publications, je cherche à contribuer à une vision renouvelée de la diplomatie, ancrée dans les valeurs d’équité, d’écoute, de solidarité et de justice. Mon engagement est d’ouvrir des voies, de susciter des vocations et de promouvoir une diplomatie où les voix africaines, notamment celles des femmes, sont pleinement audibles et actrices de changement.
Que recouvre concrètement la notion de diplomatie féministe et comment peut-elle transformer la manière dont les pays africains s’engagent sur la scène internationale ?
La diplomatie féministe désigne avant tout la volonté d’un État de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la justice sociale et de l’inclusion, des principes centraux de son action internationale. Contrairement à une diplomatie classique, souvent centrée sur les rapports de force ou les intérêts stratégiques et économiques, elle place l’humain au cœur des relations internationales, en veillant à ce que les droits des femmes et des filles soient pleinement respectés et promus dans toutes les sphères : politique, économique et sociale.
Pour les pays africains, une telle approche pourrait transformer leur manière de s’engager sur la scène internationale. Aujourd’hui, les pratiques diplomatiques restent largement axées sur des enjeux de souveraineté, de sécurité et de coopération économique ou politique. Adopter une diplomatie féministe les inciterait à orienter davantage les aides au développement vers des programmes favorisant l’égalité entre les sexes, avec des financements ciblés et renforcés. Elle pourrait également se traduire par la nomination d’un nombre paritaire d’ambassadeurs hommes et femmes dans les représentations diplomatiques, contribuant ainsi à une diplomatie plus inclusive et représentative.

En quoi la diplomatie féministe peut-elle inspirer une approche plus humaine, inclusive et solidaire des relations entre les peuples ?
La diplomatie féministe peut inspirer une approche plus humaine, inclusive et solidaire des relations internationales en plaçant les droits humains, l’égalité femmes-hommes et la justice sociale au cœur des actions diplomatiques. Cette vision encourage les États à dialoguer autrement : non plus uniquement sur la base d’intérêts stratégiques ou économiques, mais dans un esprit de solidarité et de recherche du bien commun. Elle favorise des partenariats fondés sur l’écoute, la coopération et la responsabilité partagée, contribuant ainsi à des relations internationales plus équitables et respectueuses des diversités.
Comment cette approche contribue-t-elle à redéfinir les valeurs de coopération, d’écoute et de respect mutuel, notamment entre pays du Nord et du Sud?
La diplomatie féministe change profondément les règles du jeu.
Elle propose une coopération moins hiérarchique, où chaque pays, quelle que soit sa puissance, est écouté. Elle valorise l’inclusion, la justice, l’égalité et le respect mutuel, tout en accordant une attention particulière aux besoins des populations souvent marginalisées.
Plutôt que de maintenir un modèle où un pays « aide » un autre, la diplomatie féministe encourage la co-construction de solutions, dans un véritable esprit de partenariat. En ce sens, elle contribue à recentrer les relations Nord-Sud autour de l’humain, de la solidarité et du bien commun, rompant avec les logiques de domination pour instaurer des relations plus équilibrées et durables.
En quoi la diplomatie féministe peut-elle renforcer la prise en compte des besoins et des voix des femmes, des jeunes et des communautés locales dans les échanges internationaux ?
La diplomatie féministe renforce la prise en compte des besoins et des voix des femmes, des jeunes et des communautés locales dans les échanges internationaux, en plaçant ces groupes au cœur de son action. Elle encourage les États à les intégrer activement dans les processus diplomatiques, non seulement en les écoutant, mais aussi en répondant concrètement à leurs besoins spécifiques. En valorisant leurs expériences et leurs attentes, elle contribue à bâtir des relations internationales plus justes, inclusives et représentatives, où les politiques et les programmes sont réellement ancrés dans les réalités de terrain.
Comment cette approche favorise-t-elle la culture du dialogue, de la médiation et de la paix durable, dans un contexte africain souvent marqué par des défis sociaux et communautaires ?
La diplomatie féministe mise sur l’inclusivité, l’écoute active et la justice sociale, ce qui en fait une approche naturelle pour favoriser la paix.
Elle reconnaît que les femmes, les jeunes et les communautés locales sont souvent en première ligne des conflits, mais trop souvent exclues des négociations de paix. En les impliquant réellement, on favorise des solutions plus durables, ancrées dans les réalités du terrain. Cette approche valorise également des méthodes plus douces de résolution des conflits, dialogue, médiation, justice réparatrice, plutôt que la force ou la domination.
Quels changements concrets la diplomatie féministe pourrait-elle inspirer dans la formation, la représentation et les pratiques diplomatiques en Afrique?
La diplomatie féministe pourrait inspirer des changements concrets à plusieurs niveaux dans les systèmes diplomatiques africains. D’abord, en matière de formation, elle encouragerait l’intégration de modules sur le genre, l’égalité, les droits humains et la médiation inclusive dans les écoles de formation diplomatique. Cela permettrait de former des diplomates plus sensibles aux enjeux sociaux et mieux préparés à défendre une diplomatie plus équitable.
Ensuite, sur le plan de la représentation, elle encouragerait une meilleure participation des femmes aux postes de responsabilité dans les Ministères des Affaires Etrangères, les Missions permanentes, les Ambassades, ou encore dans les processus de négociation. L’objectif serait de tendre vers une répartition plus équilibrée des rôles entre femmes et hommes dans toutes les sphères diplomatiques.
Enfin, dans les pratiques diplomatiques, la diplomatie féministe invite à revoir les priorités et les méthodes de travail: donner plus d’importance au dialogue, à l’écoute, à la coopération horizontale, et aux besoins réels des populations. Elle pousse à sortir des approches purement stratégiques ou économiques pour intégrer des dimensions sociales, humaines et communautaires dans les politiques étrangères africaines.
Peut-on dire que la diplomatie féministe est avant tout une diplomatie des valeurs humaines, centrée sur la justice, l’égalité et la dignité ?
Oui, absolument. La diplomatie féministe peut justement être comprise comme une diplomatie des valeurs humaines, car elle place au cœur de l’action internationale des principes fondamentaux comme la justice, l’égalité, la dignité, la solidarité et le respect des droits humains. C’est une diplomatie qui refuse l’exclusion, qui reconnaît la valeur de chaque être humain, et qui vise une paix durable fondée sur l’inclusion et le dialogue.
Comment cette approche contribue-t-elle à renforcer la place et le leadership des femmes africaines dans les espaces de décision internationaux ?
La diplomatie féministe contribue à renforcer la place et le leadership des femmes africaines dans les espaces de décision internationaux en promouvant activement leur inclusion, leur visibilité et leur participation aux plus hauts niveaux.
Elle pousse les États et les institutions à adopter des politiques volontaristes : nomination de femmes à des postes diplomatiques, soutien à leur formation, création de réseaux de femmes leaders dans les affaires étrangères ou les instances multilatérales.
Mais au-delà des chiffres, elle œuvre à déconstruire les stéréotypes et barrières culturelles qui freinent l’ascension des femmes dans ce domaine.
En mettant en lumière les compétences, les expertises et les expériences des femmes africaines, cette approche permet de faire entendre leurs voix dans les espaces où se décident les grandes orientations du monde. Elle ouvre ainsi la voie à une diplomatie plus représentative, plus équitable et enrichie par la diversité des parcours.
Quelles figures africaines ou expériences concrètes illustrent aujourd’hui cette manière de faire de la diplomatie autrement, avec sens, courage et équité ?
Des figures africaines comme Bineta Diop, envoyée spéciale de l’Union Africaine pour les femmes, la paix et la sécurité, incarnent cette nouvelle manière de faire de la diplomatie, fondée sur l’équité, le courage et l’inclusion. Elle a joué un rôle déterminant dans l’adoption de politiques continentales en faveur de l’égalité et dans la promotion des femmes comme actrices clés des processus de paix. L’ancienne présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue à la tête d’un État africain, a également marqué les esprits par une gouvernance tournée vers la reconstruction, la paix durable et la valorisation du leadership féminin.
Sur le plan des expériences concrètes, le Rwanda fait figure de modèle avec une représentation féminine parlementaire parmi les plus élevées au monde, traduisant une volonté politique forte d’inclusion. Le Canada, de son côté, a investi 95 % de son aide bilatérale en 2021-2022 dans des projets intégrant l’égalité des genres, démontrant que la diplomatie féministe peut avoir un impact structurant. Enfin, le partenariat entre l’Allemagne et l’Union africaine, à travers la création d’un réseau de médiatrices pour la paix, illustre une coopération internationale porteuse de transformation, centrée sur les femmes africaines comme actrices de changement.
Comment la diplomatie féministe peut-elle éviter de devenir un simple slogan, et s’ancrer réellement dans les réalités culturelles et sociales africaines ?
Pour que la diplomatie féministe ne reste pas un simple mot à la mode en Afrique, elle doit être pensée à partir de nos propres réalités : nos traditions, nos défis, mais aussi nos atouts. Elle ne peut pas être un modèle importé ; elle doit être adaptée, construite localement, et portée par les acteurs africains eux-mêmes.
Cela suppose des actions concrètes comme : le développement de programmes de formation en diplomatie sensible au genre, destinés aux jeunes femmes africaines dans les écoles de diplomatie et les instituts de relations internationales ; l’intégration de l’approche genre dans les processus de négociation, les missions de paix ou les accords de coopération ; la mise en place progressive de quotas pour assurer une représentation plus équilibrée dans les postes diplomatiques et les instances de décision ; et enfin, la création d’espaces de dialogue intergénérationnel et interculturel, permettant aux femmes, aux jeunes, et aux communautés de contribuer à la définition d’une diplomatie qui reflète les priorités africaines.
Autrement dit, faire vivre la diplomatie féministe en Afrique, c’est transformer ses valeurs (justice, égalité, inclusion) en actions concrètes, porteuses de changement durable pour nos sociétés.
En quoi cette approche pourrait-elle inspirer une nouvelle culture des relations humaines et de la coopération en Afrique, fondée sur la solidarité et le bien commun ?
La diplomatie féministe, par les valeurs qu’elle porte, égalité, inclusion, écoute, justice, peut véritablement inspirer une nouvelle manière de penser les relations humaines et la coopération en Afrique.
Dans des sociétés souvent fragmentées par des inégalités sociales, de genre ou générationnelles, elle encourage une culture du dialogue et du respect mutuel, en remettant l’humain au cœur des priorités.En valorisant la solidarité plutôt que la compétition, le bien commun plutôt que les intérêts individuels, cette approche pourrait renforcer la cohésion sociale et favoriser des politiques de coopération plus équitables entre pays africains. Elle invite à s’écouter davantage, à coopérer dans la transparence et à concevoir ensemble des solutions durables pour le développement du continent.
Autrement dit, elle ouvre la voie à une diplomatie enracinée dans les réalités africaines, qui célèbre nos forces collectives, nos valeurs communautaires, et mise sur la contribution de chacun: femmes, hommes, jeunes, anciens, pour faire avancer l’Afrique.
Peut-on envisager l’émergence d’une diplomatie féministe africaine, portée par nos contextes, nos valeurs et nos ambitions propres ?
Oui, il est non seulement possible, mais nécessaire d’envisager l’émergence d’une diplomatie féministe africaine, pensée à partir de nos réalités, de nos histoires, de nos défis et de nos espoirs. L’Afrique n’a pas besoin de calquer des modèles extérieurs, mais de bâtir une diplomatie féministe ancrée dans ses propres valeurs : la solidarité communautaire, le respect des aînés, la place centrale des femmes dans la société, et la recherche du vivre-ensemble.
Cette diplomatie féministe africaine pourrait se nourrir de nos traditions de médiation, de nos dynamiques sociales en pleine transformation, et de l’engagement croissant des femmes africaines dans la vie publique. Elle porterait une vision du monde fondée sur le dialogue, l’inclusion, la justice et la paix.
En clair, c’est une voie nouvelle, audacieuse et profondément africaine, qui contribuerait à redéfinir notre place dans le monde, tout en restant fidèle à nos identités.
Quelles pistes concrètes permettraient de renforcer l’impact humain, social et culturel de la diplomatie féministe sur le continent?
Pour renforcer l’impact de la diplomatie féministe en Afrique, il faut agir concrètement. D’abord, former la jeunesse aux questions de genre et diplomatie pour préparer une nouvelle génération engagée. Ensuite, intégrer cette approche dans toutes les politiques et accords, pour qu’elle devienne une réalité.
Il est aussi important de garantir la participation des femmes et des communautés locales dans les décisions, via des quotas et des espaces de dialogue inclusifs. Enfin, sensibiliser à la solidarité, au respect et à la justice sociale pour que cette diplomatie soit portée par tous.
Ce sont ces actions concrètes qui permettront à la diplomatie féministe d’avoir un vrai impact durable sur notre continent.
Un dernier mot?
Pour conclure, je dirais que la diplomatie féministe est une invitation à réinventer nos relations internationales avec plus d’humanité, d’égalité et de respect. En tant que femme africaine engagée dans ce combat, je crois profondément que c’est par cette approche inclusive que nous pourrons construire un avenir durable, juste et pacifique pour notre continent et le monde. C’est un appel à toutes et tous, à œuvrer ensemble pour une diplomatie qui porte véritablement les voix de toutes les femmes, des jeunes et des communautés souvent oubliées. Voilà mon engagement, et j’invite chacun à rejoindre ce mouvement.

La diplomatie féministe incarne une vision audacieuse pour repenser les relations internationales en plaçant l’humain, la justice et l’inclusion au cœur des priorités. En Afrique, son adoption pourrait transformer en profondeur la représentation des femmes dans les espaces décisionnels et les pratiques diplomatiques elles-mêmes.
Cependant, elle ne doit pas etre une pale replique elle doit s’ancrer dans les réalités culturelles et sociales du continent, en mobilisant les communautés en vue de bâtir des solutions durables. En valorisant le dialogue, la coopération équitable et la solidarité, la diplomatie féministe ouvre la voie à une nouvelle culture des relations internationales, où chaque voix compte et où le bien commun prime sur les rapports de force.
Chère Jocelyne, InspireAndShine vous remercie pour votre contribution à cette analyse. Comme lui, vous pouvez vous aussi partager votre expertise sur des sujets au cœur de la transformation sociale en Afrique. Pour cela, envoyez-nous votre biographie à l’adresse suivante : contact@iinspireandshine.com.