Quelles dynamiques pour une coopération durable?
Analyse avec Bassirou Ndiaye

La notion de développement durable appelle intrinsèquement celle d’économie durable. Dans le contexte africain, la concrétisation d’une telle économie demeure un enjeu majeur, confronté à des défis multidimensionnels. Toutefois, l’intégration régionale s’impose comme une voie stratégique et porteuse d’espoir, susceptible de catalyser les synergies interétatiques et de renforcer les capacités collectives.
Dans cette perspective, il devient impératif pour les États africains, structurés en ensembles régionaux, de consolider leur coopération afin de bâtir des institutions robustes, de mutualiser les ressources et de promouvoir un développement durable inclusif. La diplomatie économique, en tant qu’instrument d’influence et de négociation, se révèle être un levier essentiel pour défendre les intérêts économiques et favoriser l’investissement responsable.
Sur le continent, cette dynamique s’illustre notamment à travers des initiatives telles que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), illustrant une volonté commune de bâtir une coopération régionale pérenne.
Diplomatie économique et intégration régionale en Afrique: Comment y parvenir ?
Dans cet article, InspireAndShine explore cette thématique en compagnie de Bassirou Ndiaye, jeune économiste sénégalais, dont l’analyse éclaire les enjeux et les perspectives de cette ambition continentale.

Analyse
Cher invité, bienvenue sur InspireAndShine. Avant tout propos qui est Bassirou NDIAYE?
Je suis Bassirou NDIAYE à l’Etat civil mais on m’appelle couramment Bachir. Economiste, titulaire d’un master en Politiques et Négociations Commerciales Internationales et titulaire de sept certificats (7) spécialisés, je suis actuellement Chercheur au Laboratoire d’Analyse des Politiques de Développement (LAPD) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Passionné par les enjeux de la diplomatie, je travaille comme consultant, expert en planification stratégique et en développement des entreprises. Mon parcours est marqué par une forte implication dans les thématiques d’intégration économique, de commerce international, de développement durable, de coopération régionale et de la diplomatie
environnementale. Mon ambition est de contribuer à bâtir des ponts entre politiques publiques, recherche et action diplomatique au service du développement du continent.
Quelle lecture faites-vous de prime à bord de notre thème d’analyse et comment définiriez-vous la diplomatie économique dans le contexte africain ?
Je pense que votre thématique met en lumière deux axes essentiels et complémentaires : d’une part, l’importance de la diplomatie économique comme outil d’influence et de développement, et d’autre part, le rôle central de l’intégration régionale pour assurer une coopération durable entre les États africains. Ce qui invite ainsi à réfléchir sur la manière dont les pays africains peuvent mieux articuler leurs politiques économiques et diplomatiques afin de transformer les potentialités régionales en leviers réels de croissance inclusive et de durabilité. Pour la définition de la diplomatie économique, il faut comprendre qu’elle peut être perçue comme l’articulation entre les relations extérieures des États et leurs objectifs de
développement économique. Particulièrement dans le contexte africain qui est marqué par des défis de transformation structurelle, elle consiste à mobiliser les instruments diplomatiques pour promouvoir les investissements, stimuler les échanges commerciaux intra africain estimé seulement à 19% en 2023 contre 68% et 58 % respectivement en Europe et en Asie sur la même période (CNUCED, 2024) ainsi que les échanges commerciaux extra-africain. C’est aussi un levier pour positionner l’Afrique comme acteur àpart entière dans la gouvernance économique mondiale, en mettant en avant ses ressources, ses marchés et son capital humain.
En quoi la diplomatie économique peut-elle catalyser une transformation structurelle des économies africaines vers des modèles durables?
Entre 2000 et 2010, l’économie africaine a progressé en moyenne de 4,8 % par an, dépassant la moyenne mondiale de 3,1 %, et malgré un ralentissement à 3,1 % entre 2011 et 2020, elle reste supérieure à la moyenne mondiale de 2,4 % (UNCTAD, 2024). A cet effet, lorsque la diplomatie économique est alignée sur les objectifs de développement durable, elle peut catalyser la transformation structurelle des économies africaines vers des modèles durables. D’ailleurs, elle permet d’orienter les partenariats et les investissements vers des secteurs stratégiques tels que l’énergie renouvelable, l’agro-industrie, l’économie numérique et l’industrialisation verte. Par exemple, l’Agence Marocaine pour l’Énergie Durable (MASEN) a signé des partenariats avec plusieurs pays africains pour promouvoir les énergies renouvelables sur le continent. Des initiatives comme l’Initiative pour l’Économie Numérique en Afrique (DE4A), soutenue par la Banque mondiale, utilisent la diplomatie économique pour promouvoir des investissements, des réformes politiques et l’innovation numérique afin de soutenir une économie africaine durable (Banque mondiale, 2023).
Ainsi, la diplomatie économique crée un cadre favorable pour développer des chaînes de valeur régionales, renforcer les capacités productives locales et réduire la dépendance aux importations. C’est donc un outil essentiel pour passer d’économies extractives à des modèles inclusifs, innovants et respectueux de l’environnement.
Quels sont les principaux freins à une intégration régionale efficace, et comment les
surmonter ?
Les freins majeurs sont la persistance de barrières tarifaires et non tarifaires, l’insuffisance des infrastructures régionales, la faible diversification des économies et parfois la méfiance entre États. Pour les surmonter, il faut investir dans les infrastructures transfrontalières, harmoniser les politiques commerciales et fiscales, mais aussi renforcer la confiance politique à travers des institutions régionales fortes et inclusives. La ZLECAf constitue à cet égard une opportunité unique pour lever ces obstacles.
Comment concilier souveraineté économique et interdépendance régionale ?
Il ne s’agit pas d’opposer souveraineté et interdépendance mais de les rendre complémentaires. La souveraineté économique doit s’exprimer dans la capacité de chaque État à définir ses priorités de développement, tandis que l’interdépendance régionale permet de mutualiser les forces, partager les ressources et bénéficier d’économies d’échelle. Le véritable enjeu est de bâtir une intégration « souveraine », qui respecte les spécificités nationales tout en valorisant les avantages comparatifs collectifs.
Quel rôle pour les communautés économiques régionales dans la diplomatie économique alignée sur les ODD?
Les communautés économiques régionales, les CER comme sigle (Cedeao, CEMAC, etc.) jouent un rôle d’architectes de l’intégration africaine. Elles doivent définir des cadres réglementaires communs, favoriser la convergence des politiques publiques et promouvoir des projets structurants transfrontaliers. Alignées sur les ODD, elles peuvent orienter les investissements vers des secteurs créateurs d’emplois, de valeur ajoutée et de résilience, notamment dans l’agriculture durable, les énergies propres et les infrastructures sociales.
Comment renforcer la complémentarité productive entre pays africains ?
Il faut dépasser la logique de concurrence et aller vers une spécialisation intelligente. Chaque pays peut se positionner sur des segments spécifiques d’une chaîne de valeur régionale : par exemple, un pays produira les intrants agricoles, un autre se spécialisera dans la transformation, et un troisième dans la logistique et l’exportation. Cela suppose une planification concertée, des politiques industrielles coordonnées et un soutien au secteur privé pour l’intégration dans ces chaînes de valeur.
Quels mécanismes innovants de financement peuvent soutenir une coopération économique durable?
Plusieurs leviers existent: les fonds verts pour financer la transition écologique, les banques régionales de développement pour soutenir les infrastructures stratégiques, et les partenariats public-privé pour mutualiser les risques et mobiliser des capitaux privés. L’innovation financière, à travers les obligations vertes ou sociales, peut également permettre de mobiliser des ressources à grande échelle au service de projets inclusifs et durables.
Comment la ZLECAf peut-elle devenir un levier d’inclusion économique ?
La ZLECAF offre de nombreux avantages pour stimuler l’intégration régionale et le développement économique durable en Afrique. D’abord, elle permet de créer un marché unique de plus de 1,3 milliard de consommateurs, d’accroître les échanges intra-africains, de renforcer les chaînes de valeur régionales, et de favoriser l’industrialisation et l’attractivité des investissements. Ensuite, en réduisant les droits de douane et en harmonisant les normes, elle simplifie la circulation des biens et des services et ouvre de nouvelles opportunités économiques pour tous les pays membres. Alors, pour devenir un levier d’inclusion économique, la ZLECAF doit être pensée comme un outil de démocratisation de l’accès au marché. Cela implique la mise en place de dispositifs d’appui aux PME, la facilitation de l’accès au financement pour les femmes entrepreneures et les jeunes, ainsi qu’une meilleure information sur les opportunités régionales. Par ailleurs, des mécanismes de compensation pour les pays ou secteurs vulnérables peuvent réduire les inégalités, favoriser une participation plus large aux échanges commerciaux et générer un développement plus inclusif et durable.
Quel rôle stratégique pour le secteur privé ?
Le secteur privé est le moteur opérationnel de la diplomatie économique. Ce sont les entreprises qui investissent, innovent et créent des emplois. Leur rôle est donc de saisir les opportunités offertes par les accords régionaux et internationaux, de renforcer leur compétitivité et de s’engager dans des pratiques responsables. L’État, de son côté, doit créer un cadre propice à leur essor par la stabilité réglementaire et l’accès au financement.
Comment aligner les politiques industrielles nationales avec l’intégration régionale
et la transition écologique ?
L’ alignement passe par trois leviers:
La cohérence : éviter que les politiques industrielles nationales créent des distorsions au sein de l’espace régional ;
L’innovation : promouvoir des industries vertes et des solutions technologiques adaptées aux besoins locaux ;
La coopération : associer les partenaires régionaux dès la conception des politiques pour garantir la complémentarité et éviter les chevauchements.
Quels enjeux géopolitiques pour la diplomatie économique africaine ?
L’ Afrique est au cœur d’une compétition mondiale pour les ressources naturelles, les marchés et les zones d’influence. Les enjeux géopolitiques concernent la sécurisation des approvisionnements, la lutte contre les asymétries de pouvoir dans les négociations commerciales, et la nécessité d’affirmer une voix africaine unie dans les instances multilatérales. La diplomatie économique doit donc être un instrument de souveraineté collective face aux grandes puissances.
Comment mieux valoriser les ressources stratégiques africaines ?
Il faut passer de la simple exportation de matières premières à une logique de transformation locale et de partenariats équitables. Cela implique de négocier des contrats qui garantissent la valeur ajoutée sur le continent, de protéger les savoirs locaux et de promouvoir des industries basées sur les innovations endogènes. La valorisation passe aussi par une gouvernance transparente et une redistribution équitable des revenus.
Quels sont les risques d’une intégration régionale asymétrique ?
Le principal risque est que les économies les plus avancées captent l’essentiel des bénéfices, creusant les écarts avec les pays les moins compétitifs. Pour éviter cela, il faut mettre en place des mécanismes de solidarité régionale, des fonds de compensation et des politiques de convergence économique. L’équité doit être au cœur du processus d’intégration pour garantir la durabilité et l’adhésion de tous.
Comment intégrer les jeunes entrepreneurs et les PME dans les dynamiques régionales ?
Il est essentiel de créer des écosystèmes favorables à l’innovation et à l’entrepreneuriat. Cela suppose un accès facilité au financement, des incubateurs régionaux, des formations adaptées et une meilleure information sur les opportunités offertes par la ZLECAf. En intégrant les jeunes et les PME, on stimule non seulement l’emploi durable mais aussi l’émergence d’une nouvelle génération de leaders économiques africains.
Quel message fort souhaitez-vous transmettre ?
Mon message est simple: la diplomatie économique doit être un pilier de la transformation durable de l’Afrique. Elle ne doit pas se limiter à défendre des intérêts nationaux, mais viser à construire une prospérité partagée, inclusive et respectueuse des générations futures.
Un dernier mot?
Je crois fermement que l’avenir de l’Afrique réside dans sa capacité à unir ses forces, valoriser ses ressources et placer l’humain au cœur de son développement. La diplomatie économique, lorsqu’elle est visionnaire et inclusive. Elle peut être le levier qui transforme ce potentiel en réalité.

La diplomatie économique, dans le contexte africain, s’impose comme un levier stratégique incontournable pour impulser une transformation structurelle des économies vers des modèles durables et inclusifs. En articulant souveraineté nationale et interdépendance régionale, elle permet aux États de mutualiser leurs ressources, de renforcer leurs complémentarités productives et de s’inscrire dans une dynamique de coopération pérenne.
L’intégration régionale, portée par des initiatives telles que la ZLECAf et soutenue par les communautés économiques régionales, offre un cadre propice à l’harmonisation des politiques, à la mobilisation de financements innovants et à l’implication des jeunes entrepreneurs et des PME dans les chaînes de valeur continentales. À travers une diplomatie économique visionnaire, l’Afrique peut non seulement valoriser ses atouts, mais aussi affirmer sa place dans la gouvernance économique mondiale.
Cher Bassirou, InspireAndShine vous remercie pour votre contribution à cette analyse.
Comme lui, vous pouvez vous aussi partager votre expertise sur des sujets au cœur de la transformation sociale et écologique en Afrique. Pour cela, envoyez-nous votre biographie à l’adresse suivante : contact@iinspireandshine.com.
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